L’origine des larmes, Paris le 7 mars 2023.
Je rejoins le cortège des manifestants boulevard du Montparnasse pour la première fois de l'année. Je n’ai pas participé à une manifestation depuis longtemps et l’ambiance est déjà électrique alors que le cortège ne s’est pas encore lancé. Depuis le début de cette année 2023, un opposition importante s’organise face au projet de loi prévoyant la réforme du régime des retraites et notamment l’augmentation de l’âge légal de départ qui passera de 62 ans à 64 ans. Les manifestations se multiplient partout en France et la mobilisation est massive. Ce 7 mars, plus de 500 000 personnes défilent à Paris. J’arpente le cortège et commence la manifestation en suivant le défilé des syndicats étudiants dans une ambiance musicale et joyeuse. Mon rythme de marche est plutôt rapide et après quelques photos je continu mon chemin et rattrape la tête de la manifestation. L’atmosphère se fait soudain plus lourde et la tension est palpable. Un cordon de CRS est positionné devant les manifestants et les cris fusent.
Nous nous arrêtons devant la grande brasserie de la Coupole au niveau du métro Vavin. Je prends bientôt conscience que je suis coincé entre des petits groupes de manifestants très virulent et les brigades de CRS. Des bouteilles en verre et des pavés volent au-dessus de ma tête, les premières détonations des grenades CS tirées par les fusils Cougar bourdonnent à mes oreilles, et l’air se rempli d’épais nuages laiteux qui brûles les yeux et empêchent de respirer. L’inconfort et la peur marquent les visages non préparés à un tel traitement tandis que d’autres, mieux équipés, expriment leur colère parfois avec violence.
L’adrénaline monte et je shoot trois rouleaux de Tri-X 120 en quelques minutes. Je sens un sujet se détacher et suis malgré moi attiré par ces nuages de gaz qui bientôt nous enveloppent. Les larmes me montent aux yeux, je commence à suffoquer, mes jambes ramollissent et mon rythme cardiaque s’emballe. L’origine des larmes est devant moi, tout autour, je n’ose plus respirer. Je continu de suivre la manifestation et rentre chez moi en fin de journée, mes vêtements imprégnés de cette odeur acide, la peau et les cheveux également couverts par ce produit chimique, le di-chlorobenzylidène malonitrile, qui peut provoquer à forte dose des brulures importantes, des lésions oculaires graves ainsi que des troubles des systèmes cardio-vasculaire et nerveux.
LACRYMO à été publié en Octobre 2023 aux éditions La Luminade (lien).
Back to Top